Vanité de la mise en demeure en cas de comportement inacceptable du client

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 octobre 2023, 20-21.579

En décembre 2016, la société Calminia, qui a pour activité la taille et le façonnage du calcaire et du marbre, a accepté un devis proposé par la société Sodileve, relatif à une prestation de maintenance sur une scie (équipements important pour Calminia).

Par courrier du 22 mars 2017, la société Sodileve a indiqué à la société Calminia, qu’elle n’entendait pas poursuivre sa prestation, et ce en raison du comportement du dirigeant de cette dernière (plus de détails ci-dessous).

La société Sodileve a également assigné la société Calminia en paiement de diverses factures liées aux prestations déjà effectuées (8 275,20 euros TTC).

Or, la société propriétaire de la scie estime qu’elle aurait dû, conformément au droit commun des contrats, être mise en demeure avant que ne lui soit envoyée la décision de mettre fin au contrat par la société Sodileve.

La cour d’appel de Poitiers décide néanmoins qu’en raison de l’attitude « inacceptable » du dirigeant de la société Calminia, la société Sodileve (i) n’était pas en mesure de poursuivre son intervention, (ii) pouvait ainsi se dispenser de la mise en demeure, et (iii) percevoir le montant des factures impayées par la société Calminia.

Celle-ci se pourvoit donc logiquement en cassation.

Résultat : la Cour de cassation, de manière inattendue, valide la résolution du contrat par la société Sodileve en précisant que la mise en demeure n’a pas à être délivrée « lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine ».

Cette décision (très importante juridiquement et pratiquement) est inattendue car elle vient compléter un des textes fondamentaux du droit des contrats, d’ ailleurs utilisé de manière très fréquente dans la vie des affaires.

En effet, le courrier du 22 mars 2017 correspond juridiquement à une résolution unilatérale.

Cette faculté de droit commun est ouverte aux parties à un contrat par l’article 1226 du Code civil qui dispose :

« Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ».

Il faut alors qu’existe également une « inexécution suffisamment grave » du contrat (article 1224 du Code civil).

Conformément à ce texte, la seule exception à l’envoi d’une mise en demeure préalablement à la résolution unilatérale est l’urgence.

Or, la Cour de cassation, pour exclure le besoin de mise en demeure dans cette affaire, ne s’est pas appuyée sur l’existence d’une « urgence » ; elle a créé un nouveau critère correspondant au caractère vain de la mise de la mise en demeure au regard des « circonstances » du litige.

Dans son analyse, la Cour a relevé les circonstances de fait ayant justifié sa décision, à savoir que :

« les relations avec les personnels de la société Sodileve intervenant sur le chantier étaient devenues très tendues et conflictuelles, le dirigeant de la société Calminia ayant tenu des propos insultants et méprisants à l’égard de l’un des collaborateurs de la société Sodileve, mettant en cause sa capacité à faire et à suivre le chantier, donnant des ordres directs à l’un des salariés de celle-ci sans en informer sa hiérarchie, l’arrêt retient que si l’agacement de ce dirigeant de voir son outil professionnel hors de fonctionnement peut être compris, cette situation ne pouvait justifier une attitude inacceptable, qu’il s’agisse des propos tenus, ou du fait d’imposer des dates d’intervention non convenues. […] ce comportement fautif ne permettait alors plus de poursuivre une intervention dans des conditions acceptables et justifiait le retrait des équipes de l’entreprise, empêchées dans leur exécution contractuelle ».

Cette arrêt offre un outil supplémentaire aux parties.

Le caractère vain de la mise en demeure en cas de résolution unilatérale par une des parties ne peut résulter que de circonstances graves et doit donc être employé avec précaution car le principe de ce mécanisme reste l’envoi d’une mise en demeure préalable.

Toutefois, le comportement excessif, voire inacceptable, d’un cocontractant n’est pas rare dans les relations contractuelles.

Dans ce contexte, la partie peut souhaiter mettre un terme unilatéralement et le plus rapidement possible à sa relation avec les clients, ce que pourrait permettre la résolution unilatérale, en éludant ainsi de nouveaux échanges avec des clients difficiles par une mise en demeure préalable.

Tout est alors affaire de circonstances. Ici, des « propos insultants et méprisants », des relations « très tendues et conflictuelles » ou le « fait d’imposer des dates d’intervention non convenues » ont été relevés par la Cour d’appel et par la Cour de cassation et ont permis de valider la résolution unilatérale du contrat.

Ce type précis de comportement, qualifié « d’inacceptable », doit ainsi être prouvé. Sur ce point, l’arrêt met en exergue l’existence « d’attestations versées aux débats ». Il s’agit d’attestations de témoin (Cerfa N° 11527*03, accessible en ligne).

La preuve d’un comportement inacceptable ne semble donc pas soulever de difficulté particulière.

Enfin, il convient de préciser que la prérogative d’exception d’inexécution peut être exclue ou aménagée au sein du contrat. L’efficacité de la clause y relative dépend alors de sa rédaction.