Crise sanitaire et force majeure : entre précision et nuance

Dans cette affaire (dite « FTI Touristik »), le séjour touristique de deux voyageurs est gâché par des « mesures covid », lesquelles ne caractérisent pas, pour la Cour de justice, un événement de force majeure opposable aux voyageurs par le tour opérateur. En conséquence, ce dernier devait leur accorder une réduction de prix sur la prestation.

Les faits du cas étudié sont les suivants :

  • deux voyageurs, ayant tous deux qualité de consommateur, ont acheté auprès d’un tour-opérateur allemand (le professionnel) un voyage à forfait de deux semaines à la Grande Canarie en Espagne entre 13 et le 27 mars 2020 ;
  • le 15 mars 2020, sont appliquées sur le lieu de destination précité des restrictions destinées à lutter, comme ailleurs dans le monde à cette date, contre la propagation de la pandémie de covid-19 (couvre-feu sur l’île, fermeture des plages, interdiction de l’accès à la piscine et annulation des programmes d’animation dans leur hôtel, etc.);
  • mécontents de cette situation, les voyageurs demandent donc à leur tour-opérateur une réduction du prix de 70 % de leur forfait touristique en réparation du préjudice ainsi causé (demande fondée sur l’article 14.1, de la directive UE n° 2015/2302 du 25 novembre 2015, dite « Travel» qui dispose : « Les États membres veillent à ce que le voyageur ait droit à une réduction de prix appropriée pour toute période de non-conformité des services fournis, sauf si l’organisateur prouve que la non-conformité est imputable au voyageur »).
  • le tour-opérateur refuse en qualifiant la situation de « risque général de la vie » (référence maladroite à la force majeure) ;
  • les voyageurs ont donc attrait le tour-opérateur devant les juridictions allemandes, puis saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ;
  • action récompensée puisque la Cour de justice juge que, le tour-opérateur ne démontrant pas que la non-conformité était imputable aux voyageurs, ces derniers avaient droit à une réduction du prix de leur voyage.

Ainsi, la Cour a fait une application stricte de la directive en analysant uniquement l’ imputabilité de la non-conformité au voyageur (« si les restrictions que les autorités publiques imposent à ce voyageur en raison de la propagation mondiale de la pandémie de COVID-19 constituent un risque pour celui-ci, l’inexécution ou la mauvaise exécution de services de voyage à forfait causées par ces restrictions n’est pas pour autant imputable audit voyageur »).

Elle en conclut logiquement qu’« un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur son lieu de destination pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse et que de telles restrictions ont également été imposées sur le lieu de résidence de celui-ci ainsi que dans d’autres pays en raison de la propagation mondiale de cette maladie ».

Néanmoins, il est intéressant de noter l’absence de toute discussion sur l’existence d’un événement de force majeure au bénéfice du professionnel, laquelle aurait pu être caractérisée au titre des mesures sanitaires mises en place.

Cette décision s’inscrit dans une dynamique emprunte d’une nuance accrue dans l’admission de la force majeure en lien avec la crise sanitaire.

En effet, si les juge peuvent reconnaître sans hésitation la force majeure pour rompre l’imputabilité d’un manquement, ils peuvent aussi l’écarter, et ce nonobstant des effets potentiellement très préjudiciables.

En France, la jurisprudence semblait jusqu’à présent défavorable à l’admission de la crise sanitaire comme constituant un cas de force majeure exonérant les débiteurs de leur obligations. C’était d’ailleurs le cas de la jurisprudence portant sur d’autres épidémies plus ou moins récentes (chikungunya, Ebola, H1N1, etc.). Elle rejetait ainsi leur caractère d’événement de force majeure.

Cette tendance semble réaffirmée actuellement dans les rapports entre professionnels. C’est notamment le cas en matière de baux commerciaux où la Cour a (avec un certain retentissement pratique et doctrinal) fermé toutes les issues (ou presque), y compris celle de la force majeure (Cour de cassation, 15 juin 2023, n° 21-10.119, Publié au bulletin, pt. 9 :« l’impossibilité d’exercer une activité du fait des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus covid-19, ne pouvait exonérer la locataire du paiement des loyers échus pendant les premier et deuxième trimestres 2020 »).

Toutefois, la jurisprudence semble, dans le même temps, admettre de plus en plus d’exceptions, notamment au profit du non-professionnel.

À titre d’exemple, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de fiancés sur le fondement de la force majeure (Cour de cassation, 6 juill. 2022, n° 21-11.310). Ces derniers avaient obtenu l’annulation d’un contrat de réservation d’une salle de réception destinée à accueillir leur mariage en raison de la survenance du confinement de mars 2020. L’entreprise responsable de la location a ainsi été condamnée à la restitution de l’acompte versé par les fiancés.

Cette décision peut paraître à première vue surprenante car ce n’est pas le prestaire défaillant qui s’est prévalu de l’événement force majeure, comme s’est souvent le cas, mais bien ses clients, créancier de l’obligation inexécutée. La position de la Cour de cassation résulte en réalité de l’application de la clause de force majeure du contrat litigieux, laquelle stipulait qu’en cas d’annulation de la manifestation par le client, le montant de la location resterait intégralement dû à la société « sauf cas de force majeure ».

La Cour a donc logiquement déduit de l’existence d’un cas de force majeure – qu’elle a, au passage, validé au uniquement au regard du pouvoir souverain d’appréciation de la cour d’appel – justifiait « en application de la clause du contrat » le remboursement de l’acompte versé. C’est la rédaction (malheureuse pour le professionnel) de cette clause qui a amené à cette décision favorable aux consommateurs.

En tout état de cause, le résultat de cet arrêt est similaire à l’affaire FTI Touristik : la Cour a identifié une voie permettant l’exclusion de la force majeure. 

Entre professionnels en revanche, la Cour de cassation n’hésite pas à retenir la qualification d’événement de force majeure justifiant la rupture des relations commerciales établies en présence d’une baisse d’activité, laquelle peut résulter, par exemple, d’une crise économique (Cour de cassation, Chambre commerciale, 6 février 2019, n° 17-23.361), sous réserve naturellement que cette baisse soit justifiée par celui qui l’invoque (Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 04,12 mai 2021 / n° 18/14724).

Que la tendance précitée se confirme ou non, il doit être rappelé que la survenance d’un événement de force majeure peut, en toute occurrence, être envisagée contractuellement. Son existence peut être admise ou exclue, selon l’événement considéré.

À ce titre, la clause de force majeure doit être rédigée avec soin. En particulier, la définition de ce que constitue un événement de force majeure doit faire l’objet d’une rédaction spécifique en fonction des besoins du professionnel. Dans un contexte sanitaire et économique potentiellement (voire manifestement) instable, les professionnels avisés y prendront garde.