Le Rouge et la marque

Trib. UE 14 juill. 2021, aff. T-488/20

L’absence de caractère distinctif est un motif de nullité des marques (article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle), au même titre que les exigences de licéité, disponibilité et de représentation graphique. En effet, la marque doit permettre au consommateur d’identifier l’origine du produit ou du service sur lequel elle est apposée.

Le critère de distinctivité donne lieu à des décisions importantes, notamment lorsqu’elles ont trait à des produits de grande consommation, sans préjudice naturellement de leur éventuel caractère luxueux.

Déjà dans un épisode récent d’une des nombreuses affaires Louboutin (où la question d’un « rouge » se posait aussi), il était reproché à la marque n° 874489 déposée au BOIP (Office du Benelux de la Propriété industrielle) par M. Louboutin d’être constituée exclusivement « par la forme qui donne une valeur substantielle au produit » au sens l’article 3 de la directive 2008/95 (remplacée par la Directive 2015/2436 du 16 décembre 2015).

La Cour de justice a jugé que nonobstant son application sur une forme tridimensionnelle (une semelle de chaussure) « il ne saurait […] être considéré qu’un signe est constitué par cette forme lorsque ce n’est pas celle-ci que l’enregistrement de la marque vise à protéger, mais seulement l’application d’une couleur à un emplacement spécifique dudit produit ». D’après elle, la couleur objet du dépôt ne constituait pas une forme, bien qu’appliquée sur un objet tridimensionnel ; ce dernier servant uniquement à mettre en évidence l’emplacement de la couleur visée par l’enregistrement (CJUE, 12 juin 2018, aff. C-163/16, points 24 et 25).

De forme et de rouge il était encore question dans la décision du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2021, quoi qu’en d’autres termes.

En effet, la société Guerlain a déposé en 2018 une demande marque de l’Union européenne tridimensionnelle aux fins de protéger la forme de son produit « Rouge G de Guerlain » en classe 3 de la classification de Nice, en tant que produit cosmétique.

En 2019 et 2020, l’examinateur puis la première chambre de recours de l’EUIPO ont rejeté cette demande d’enregistrement sur le fondement de l’absence de caractère distinctif de la marque demandée. En effet, l’EUIPO a, en synthèse, considéré que les rouges à lèvres existant sur le marché étaient tous d’une forme similaire à celle déclinée dans la demande de marque rejetée.

Pourtant, la décision de l’EUIPO est annulée par le Tribunal de l’UE. Cette décision est ainsi l’occasion d’un riche et intéressant rappel sur l’importance du critère de la perception du public pertinent dans l’appréciation de la distinctivité.

En effet, ce critère doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (CJC 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C-456/01 P et C-457/01). Il en est ainsi quelque soit la nature de la marque.

Le Tribunal rappelle également que « seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de ladite disposition ». Mais il précise surtout que « lorsqu’une marque tridimensionnelle est constituée de la forme du produit pour lequel l’enregistrement est demandé, le simple fait que cette forme soit une « variante » de l’une des formes habituelles de ce type de produits ne suffit pas à établir que ladite marque n’est pas dépourvue de caractère distinctif » (Trib. UE 14 juill. 2021, aff. T-488/20, points 18 et 19).

Or, en analysant point par point si la demande de marque diffère de manière significative de la norme et des habitudes du secteur, le Tribunal va découdre la décision de l’EUIPO.

Il conclura de son analyse que « le public pertinent doté d’un niveau d’attention allant de moyen à élevé sera surpris par cette forme facilement mémorisable et la percevra comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres en mesure d’indiquer l’origine des produits concernés » (Trib. UE 14 juill. 2021, aff. T-488/20, point 57).

La demande marque étant distinctive et de nature à remplir sa fonction de garantie d’origine des produits désignés, elle peut donc être enregistrée.

Cette décision souligne, s’il en était encore besoin, la subtilité de l’analyse par les offices des dépôts de marques, nationales ou européennes, laquelle n’est toutefois pas sans failles. Des failles qu’il faut savoir exploiter