Du bon usage d’une marque dans Google adwords : pas vu pas pris, pris pendu ?

Cour de cassation, 18 octobre 2023, n° 20-20.055 FS-B, Sté Aquarelle.com c/ Société commerciale et touristique (SCT)​

La société Aquarelle.com, ayant pour activité la vente de fleurs et de plantes, est titulaire de la marque « Aquarelle » et d’un site internet « Aquarelle.com » (exploité par sa licenciée).

Or, un concurrent, la société Société Commerciale et Touristique (ci-après « SCT»), a réservé le mot-clé « Aquarelle » (terme identique à la marque précitée) auprès du service Google Adwords™ et utilise ce mot dans le code source de son site internet pour désigner les produits et services identiques à ceux visés par la marque.

Le « code source » est un terme informatique désignant l’ensemble des
instructions et des commandes qui déterminent la structure, la mise en forme et les fonctionnalités d’un site web (traduits ensuite par le navigateur pour afficher une page web).

En insérant des mots-clés dans le code source de leur site internet (appelés des « méta-balises » ou « méta-tags »), les entreprises peuvent favoriser le référencement dit « naturel » de leur site par le moteur de recherche. Cet usage de la marque dans le code source est invisible pour l’internaute.

Se plaignant d’un risque de confusion pour le consommateur, le titulaire de la marque et sa licenciée agissent contre la société SCT, notamment en contrefaçon.

La société Aquarelle.com est déboutée de sa demande par jugement du tribunal judiciaire de Paris du 12 octobre 2017, confirmé dans un arrêt du 3 mars 2020 par la Cour d’appel de Paris.

La Cour de cassation a donc été saisie de la question de l’existence de la contrefaçon ; elle répond parla négative.

Le titulaire d’une marque peut interdire à tout tiers de faire usage dans la vie des affaires, sans son autorisation, d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée.

Toutefois, il ne peut s’opposer à cet usage que si celui-ci porte atteinte ou risque de porter atteinte à une des fonctions essentielles de la marque, en particulier à celle qui est de garantir au consommateur, ou à l’utilisateur final, l’identité d’origine du produit ou du service marqué, en lui permettant de distinguer ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.

Ainsi, le titulaire d’une marque peut interdire à un concurrent de faire, sans son autorisation, de la publicité à partir d’un mot-clé identique à ladite marque sélectionné sur un service de référencement sur internet, pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.

Toutefois, cette interdiction n’est applicable que
lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen (c’est-à-dire normalement informé et raisonnablement attentif) de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.

Si c’est le cas, il s’agit d’une atteinte à l’une des fonctions essentielles de la marque, à savoir l’indication de l’origine des produits et services, autrement dit le lien avec l’entreprise qui les fournit.

Ici, la Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel de Paris sur le rejet de la contrefaçon.

Elle le fait, non pas en raison de l’invisibilité de l’usage de la marque pour l’internaute (ici sous forme de code source et de mot-clé Adwords), mais en raison de l’absence de risque de confusion pour ce dernier.

En effet, la Cour de cassation a constaté que :

       si l’annonce de la société SCT s’affichait en premier résultat sur le moteur de recherche Google après une recherche avec le mot-clé « Aquarelle », cette annonce était immédiatement suivie de l’annonce du site « Aquarelle.com » ;

       il n’était fait aucun usage du signe « aquarelle », ni dans l’annonce elle même, ni dans le lien, ni dans l’adresse URL ;

       l’annonce en cause utilisait des termes courants pour décrire l’activité de livraison de fleurs commandées en ligne ; et

       affichait expressément le nom du site de la société SCT.

La Cour a ainsi estimé que ces précisions permettaient à l’internaute de savoir que cette annonce correspondait au site de la société SCT, et non au site de la société Aquarelle.

Pas de confusion possible ; il n’ y avait donc pas d’atteinte à la garantie d’origine de la marque et donc pas de contrefaçon.

Il convient de préciser que la décision de la Cour ne porte que sur la contrefaçon et non sur la concurrence déloyale.

La concurrence déloyale est un autre fondement pouvant être invoqué par le titulaire d’un signe distinctif (marque, dénomination sociale, enseigne, logo, etc.) en cas de faute constituée par :

       la reproduction ou imitation d’un signe créant une confusion dans l’esprit de la clientèle;

       un parasitisme économique, c’est-à-dire la volonté de se placer dans le sillage économique d’un concurrent en profitant indûment de ses efforts économiques.

L’intégration de la marque d’un tiers comme mot clé dans le code source de son site pour en favoriser le référencement naturel peut, notamment, constituer un acte de parasitisme en ce que cette intégration manifeste sa volonté de se placer dans le sillage du concurrent.

Cet acte peut alors caractériser une « intention d’orienter l’internaute qui cherche les produits de la marque […] vers la page de son site pour se placer indument dans son sillage et tirer profit de sa réputation » (TGI de Paris, 9 nov. 2018, n° 17/11709).

La décision de la Cour de cassation confirme que l’usage de la marque d’une entreprise concurrente n’est pas, en lui-même, interdit pour la publicité sur internet, mais doit être effectué avec précaution pour ne pas être sanctionné.

Dans ce cas, il sera utilement rappelé qu’une marque, même enregistrée, peut être déclarée nulle par un juge (le dépôt d’une marque doit faire l’objet d’une analyse précise en amont) ; autrement dit, l’entreprise accusée de contrefaçon peut contre-attaquer.

En tout état de cause, l’usage de la marque d’un concurrent et sa visibilité dans l’annonce en ligne (Adwords ou autre) n’est pas le seul critère.

Si la marque apparaît dans l’annonce, d’une manière ou d’une autre (URL, balise titre, texte descriptif, etc.), les juges retiennent que l’internaute risque d’être trompé quant à l’origine des produits ou services : il y a contrefaçon.

Si cet usage est invisible (Adwords, meta-tags, code source, etc.), le résultat de la recherche (ici Google), ne doit pas amener l’internaute utilisant le mot-clé (qui contient la marque) à croire que l’annonce qui apparait est celle de l’entreprise titulaire de la marque entrée comme mot-clé de recherche.

Dans ce dernier cas, l’appréciation se fait avec les critères identifiés par la Cour de cassation ci-dessus (usage de termes courants, désignation de l’entreprise annonceuse, etc.).

À l’inverse, les entreprises titulaires de marques pourront être attentives au respect de cette règle par leurs concurrents, le référencement étant aujourd’hui (comme d’autres outils, notamment proposés par la société Google, tel que les fiches d’établissement supports des fameux « avis Google ») un des éléments indispensables à la visibilité des entreprises.