Revirement sur la confirmation du contrat hors établissement : « désormais » avantage au consommateur

Cour de cassation, civile, 1re civ., 24 janvier 2024, n° 22-16.115

La Cour de cassation a opéré, le 24 janvier 2024 (n° 22-16.115), un nouveau revirement de jurisprudence sur la question de la portée de la reproduction des dispositions légales au sein du contrat hors établissement.

Cette décision est importante puisqu’en découle la portée de l’éventuelle confirmation du contrat par le consommateur.

Elle est néanmoins d’autant plus curieuse qu’elle fait suite à de précédentes hésitations sur ce point de la part de la Cour suprême, et ce au détriment de la sécurité juridique des professionnels, lesquels assument naturellement les conséquences de l’éventuelle irrégularité de leur documentation contractuelle.

Position initiale : avantage au professionnel

Le retour sur la décision rendue le 1er mars 2023 (n°22-10.361) permet d’identifier la nature de la question – sur laquelle la Cour reviendra onze mois plus tard.

En l’occurrence, les consommateurs avaient conclu un contrat de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques. Invoquant des irrégularités du bon de commande, en raison notamment de l’imprécision du délai d’exécution qui y était indiqué, les clients ont demandé l’annulation du contrat.

Le vendeur des panneaux photovoltaïques s’est opposé à cette demande en soutenant que :

  • le bon de commande comportait bien l’indication d’une date de livraison ; et
  • qu’en toute hypothèse les consommateurs avaient confirmé ce contrat en l’exécutant en connaissance des vices affectant son bon de commande.

D’abord, pour la Cour de cassation le contrat conclu impliquait des opérations à la fois matérielles (de livraison et d’installation du matériel commandé) mais également des démarches administratives.

La difficulté tenait au fait que rien ne permettait de déterminer les prestations auxquelles correspondait la date de livraison indiquée sur le bon de commande.

Or, cette mention est requise à peine de nullité dans les contrats de consommation, qu’ils soient conclus à distance ou hors établissement (art. L. 221-5 3° du Code de la consommation).

En effet, le professionnel doit, dans le cadre de son obligation d’information, préciser la date ou le délai auquel il s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service et, en cas de pluralité de prestations, indiquer un délai global d’exécution ne suffit pas ; le bon de commande présentait donc, a priori, des irrégularités justifiant son annulation.

Toutefois, les dispositions du Code de la consommation imposant d’indiquer la date ou le délai d’exécution étaient reproduites au verso du bon de commande. Bon réflexe : la Cour de cassation en avait alors déduit que les clients avaient exécuté volontairement le contrat en connaissance du vice invoqué et donc confirmé l’acte – ainsi que régularisé la nullité encoure –  au sens des articles 1181 et 1182 du Code civil.

En application de cette jurisprudence, une sécurité supplémentaire pouvait consister en la stipulation des textes de loi applicables au verso du bon de commande (ou devis, contrat, etc.) et, en tout état de cause, au sein du contrat, afin de couvrir une éventuelle nullité du contrat.

Toutefois cette faculté ouverte au professionnel rédacteur de contrat allait, par la suite, être ballotée au gré des vents  jurisprudentiels.

La Cour l’avait d’abord exclue (Cass. 1re civ., 9 mai 2019, n° 18-11.751) :

Attendu qu’ayant constaté que les conditions générales figurant au verso du bon de commande se bornaient à reprendre les dispositions de l’article L. 121-23 du code de la consommation, la cour d’appel a pu retenir que de telles mentions étaient insuffisantes à révéler aux emprunteurs le vice affectant ce bon, de sorte que l’attitude de ceux-ci ne pouvait être interprétée comme une confirmation de l’obligation entachée de nullité.

Puis, retenue (Cass. 1re civ., 8 sept. 2021, n° 19-18.453) :

Après avoir relevé que les emprunteurs soutenaient que les contrats de fourniture et d’installation n’étaient pas conformes aux articles L. 121-23 et L. 121-24 du code de la consommation, l’arrêt retient qu’ils ont signé ces contrats qui reproduisent intégralement les articles L. 121-21 à L. 121-26 du même code, et, en connaissance de ces dispositions légales, poursuivi leur exécution en acceptant la livraison des marchandises et la mise en service de l’installation, en signant les attestations de livraison donnant pour instruction aux prêteurs de libérer les fonds, en faisant raccorder l’installation au réseau et en souscrivant un contrat de vente de l’électricité produite qui a reçu application pendant plusieurs années.

De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que les emprunteurs avaient exécuté volontairement les contrats de fourniture et d’installation, en connaissance des vices les affectant, ce qui valait confirmation de ces contrats et les privait de la possibilité de se prévaloir des nullités formelles invoquées.

Puis, exclue avec, de surcroît, la solennité du bulletin (Cass. 1re civ., 31 août 2022, n° 21-12.968) :

Vu l’article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

Il résulte de ce texte que la confirmation d’un acte nul procède de son exécution volontaire en connaissance du vice qui l’affecte.

La reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat, permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l’inobservation de ces dispositions.

Pour exclure la confirmation des contrats de fourniture et d’installation litigieux, l’arrêt retient que le seul fait que les conditions générales figurant au verso du bon de commande se bornent à reprendre les dispositions du code de la consommation est insuffisant à révéler au souscripteur les vices affectant ce bon.

En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Cette dernière solution de la première chambre a été réitérée le 1er mars 2023, ce qui aurait pu mettre un point final à la discussion de la Cour avec elle-même ; mais non.

Nouvelle position : avantage au consommateur

Par la décision objet du présent commentaire, la Cour opère un revirement et justifie sa position de la façon suivante :

Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d’éviter que les acquéreurs échappent à leurs obligations, notamment celles résultant du contrat de crédit affecté en invoquant une irrégularité formelle du contrat de vente, cependant que celui-ci a fait l’objet d’une exécution normale, elle est de nature néanmoins, ainsi qu’une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec l’objectif de protection du consommateur.

Ces considérations ont conduit la première chambre civile à renforcer son contrôle quant à la reproduction effective des textes légaux (1re Civ., 1er mars 2023, pourvoi n° 22-10.361, publié) et l’examen des décisions des juridictions du fond révèle que le contentieux se porte désormais sur cette question (n° 22-16.115, pt. 9 et 10).

En ressortent quatre points :

  • la Cour s’était prononcée comme elle l’a fait en 2023 (et antérieurement) pour « éviter que les acquéreurs échappent à leurs obligations», ce qui est pertinent ;
  • elle indique ensuite l’avoir fait pour « renforcer son contrôle quant à la reproduction effective des textes légaux » ; ce qui l’est moins : en effet, est-ce à dire que par sa nouvelle décision elle renonce désormais à ce contrôle puisque, de fait, les professionnels ne seront plus incités à reproduire des textes dont ils auraient pu tirer une confirmation de l’acte nul ?
  • puis la Cour précise que « l’examen des décisions des juridictions du fond révèle que le contentieux se porte désormais sur cette question» ; elle indique à ce titre « Plusieurs juridictions du fond s’appuient sur une approche in concreto […], tandis que d’autres excluent que la seule reproduction, même lisible, de textes du code de la consommation soit suffisante pour caractériser une connaissance du vice » ; c’est peut-être confondre cause et conséquence : les juridictions du fond hésiteraient-elles si la jurisprudence de la Cour suprême avait été constante depuis 2019 ?
  • enfin, la Cour rattache sa nouvelle position à la possibilité pour le professionnel de se prévaloir de la demande de confirmation conformément aux dispositions de l’article 1183 du code civil ; certes, mais ce texte – d’application immédiate – existait déjà en 2019 ;

En conséquence, « désormais » :

L’ensemble de ces éléments conduit la première chambre civile à juger désormais que la reproduction même lisible des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d’avoir une connaissance effective du vice résultant de l’inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite du contrat, en l’absence de circonstances, qu’il appartient au juge de relever, permettant de justifier d’une telle connaissance et pouvant résulter, en particulier, de l’envoi par le professionnel d’une demande de confirmation, conformément aux dispositions de l’article 1183 du code civil, dans sa rédaction issue l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable, en vertu de l’article 9 de cette ordonnance, aux contrats conclus dès son entrée en vigueur.

Un revirement « tendance » : les arrêts de décembre 2023

Par quatre salves du 20 décembre 2023, la Cour de cassation avait déjà confirmé et précisé plusieurs aspects de l’obligation d’information incombant au professionnel en matière de contrat hors établissement.

Rien de révolutionnaire dans ces décisions, qui ne font que garantir l’application de la réglementation et de la jurisprudence applicables.

En revanche, la décision du 24 janvier est d’une autre nature, puisqu’elle touche à la forme de l’acte support de l’obligation d’information incombant au professionnel : le contrat.

Cette dernière décision revêt donc, en pratique, un effet exponentiel sur la portée des décisions précitées de décembre 2023, qu’elle accompagne et valorise, tout en dessinant plus avant la “tendance” jurisprudentielle de la Cour.

Les décisions de 2023 avaient pour objet la sanction de manquements, par des contrats de vente de panneaux photovoltaïques, à certains aspects du formalisme informatif imposé par le Code de la consommation.

Retenons la première de ces décisions, dans laquelle elle se prononce sur le formulaire type de rétractation (cf. nota. art. L .221-5 du Code de la consommation), pierre angulaire du dispositif de protection du consommateur : de manière prosaïque la Cour juge « l’emploi de ce formulaire ne doit pas avoir pour effet de porter atteinte à l’intégrité du contrat que le consommateur doit pouvoir conserver » (n° 21-16.491, pt. 6) ; autrement dit, l’utilisation du formulaire ne doit pas amputer le contrat –  il convient donc d’éviter le recto verso.

La préoccupation résolument formaliste de la Cour de cassation était ainsi déjà palpable.

Autre précision significative : confirmant de précédentes décisions du 14 novembre 2018 (n° 17-21.696, n° 17-21.697 et n° 17-21.699), la Cour réaffirme la présomption de vice d’erreur résultant du manquement du professionnel à son obligation d’information « sur des éléments essentiels du contrat » (dont la charge de la preuve lui incombait déjà : art. L. 111-5 du Code de la consommation), laquelle fait encourir la nullité au contrat.

À noter qu’un autre arrêt du 24 janvier 2024 (n° 21-20.691) a étendu cette jurisprudence en qualifiant de caractéristique essentielle « la marque du bien ou du service faisant l’objet du contrat ». 

Cette extension semble dangereuse – elle aussi – pour la sécurité juridique. En effet, une extension trop large du domaine d’application des caractéristiques essentielles, au sens de l’article L. 221-5 du Code de la consommation, est à craindre (au moins du point de vue du professionnel), cette notion pouvant s’étendre à l’infini de ce qui touche à la matière contractuelle ; c’est-à-dire une matière considérable, propice au pêle-mêle lequel est ennemi du praticien.

La Cour de cassation n’en a donc, manifestement, pas fini avec l’élaboration de sa jurisprudence sur les problématiques précitées ; il est à espérer qu’elle y parvienne « désormais » sans nouveaux errements, dont les professionnels ne manqueront pas de pâtir.