Nouvelle sanction et point d'actu sur le dénigrement en ligne
Cour d'appel de Douai, 3ème Chambre, 7 septembre 2023, RG nº 22/01342
En 2018 une cliente bénéficie d’une prestation auprès d’un salon de coiffure (une société). Estimant la prestation « défectueuse », la cliente du salon a alors publié des commentaires sur Google et Facebook concernant le salon (la cliente a notamment créé deux pages Facebook visant le salon et dont les titres contenaient les termes « Méfiance » et « A FUIR », chaque page étant alimentée par des commentaires négatifs, de la cliente et de tiers).
En conséquence, le salon a assigné sa cliente en justice et obtenu du tribunal judiciaire de Douai la réparation de son dommage pour la somme de 7 500 € (dont 2 500 € de préjudice moral), 2 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (ayant notamment pour objet de compenser les frais d’avocat) ainsi que le retrait des pages Facebook litigieuses sous astreinte.
La décision de première instance a été confirmée par la Cour d’appel de Douai, laquelle a jugé que les propos tenus en ligne par la cliente étaient dénigrants envers le salon de coiffure.
D’après la jurisprudence, un dénigrement correspond à « la divulgation [par une personne] d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé [par une autre personne] » (Cass. 1ère civ., 11 juill. 2018, n° 17-21.457, Cass. com.,15 janv. 2020, n° 17-27.778).
Le dénigrement constitue une faute pouvant engager la responsabilité de son auteur dans le cadre d’une action en concurrence déloyale. Elle est fondée sur l’article 1240 du Code civil (« tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »). La précision est importante car ce régime emporte, notamment, que le préjudice s’infère nécessairement du dénigrement identifié (jurisprudence constante : Cass. com., 12 févr. 2020, n° 17-31.614, Publié au bulletin), ce qui signifie que si le préjudice est prouvé, son lien avec le dénigrement n’a pas, en principe, à être démontré.
Une confusion est souvent opérée entre dénigrement et diffamation.
Sans s’étendre sur un point amplement discuté et aujourd’hui tranché par la jurisprudence, il suffira de rappeler que le dénigrement s’attaque aux produits et/ou services d’une entreprise alors que la diffamation (pénalement sanctionnée) concerne des propos portant atteinte aux personnes (physique ou morale). Ainsi, la distinction entre diffamation et dénigrement s’opère en fonction de l’objet des propos (cf. par exemple : Cass. com., 15 janv. 2020, n° 17-27.778, Publié au bulletin).
L‘article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».
Autre différence notable, la diffamation peut être justifiée par la bonne foi de l’auteur ainsi que la fameuse « exception de vérité » (toutes deux soumises à de strictes conditions décrites par la jurisprudence pour la première et par l’article 55 de la loi de 1881 pour la seconde).
D’ailleurs, la Cour d’appel de Douai n’a pas manqué de rappeler cette différence, tout en analysant le moyen de défense classique en matière de diffamation (notamment en ligne) invoqué par la cliente : la liberté d’expression.
Elle précise ainsi que « S’il n’existe pas en matière de dénigrement une réelle exception de vérité, telle qu’elle est prévue en matière de diffamation, la bonne foi de son auteur est toutefois admise si l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général, qu’elle repose sur une base factuelle suffisante, et qu’elle est exprimée avec une certaine mesure ».
Si cette liberté est effectivement opposable à l’entreprise visée, elle ne peut être valablement admise que lorsque plusieurs critères sont réunis.
Ces critères (identifiés et rappelés régulièrement par la jurisprudence) correspondent au fait que l’information en cause, autrement dit le propos :
- se rapporte à un sujet d’intérêt général ;
- repose sur une base factuelle suffisante ;
- et ce sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.
Pour la Cour, ces critères n’étaient pas réunis dans la présente affaire.
Sur le premier critère : elle relève que « ces publications ne s’inscrivent pas dans un contexte d’information sur une question d’ordre général concernant l’ensemble des salons de coiffures ou certaines techniques utilisées par ces derniers, mais dans le cadre d’un litige ponctuel et limité à un établissement spécifiquement ciblé ».
Sur le deuxième critère : la Cour relève que la remise en cause par la cliente de la qualité des prestations du salon repose sur sa seule expérience (les avis positifs d’autres clients étant d’ailleurs exclus des pages Facebook par la cliente). La base factuelle n’est donc pas constituée.
Enfin sur le troisième critère : pour la Cour la présentation des pages Facebook révélait une « expression excédant les besoins de la critique » (notamment, une photographie du Salon barrée de rouge était affichée photo de profil). D’ailleurs, le simple fait que l’expression « A FUIR » soit en majuscule suffit pour la Cour à caractériser une absence de nuance.
À défaut de réunion de ces critères, la liberté d’expression ne pouvait pas exclure le caractère dénigrant des propos tenus en ligne par la cliente.
La Cour a donc jugé que cette dernière avait dénigré le salon, cette faute lui ayant causé un préjudice.
Cette décision illustre que les entreprises disposent de moyens de droit efficaces pour se défendre en cas d’atteinte à leur réputation, notamment en ligne.
La réparation allouée à l’entreprise victime peut d’ailleurs être substantielle (au moins à l’échelle du client consommateur, lequel n’en a pas nécessairement conscience au moment des faits). Le dénigrement peut entrainer des réparations au titre du préjudice matériel mais également au titre du préjudice d’image et moral de l’entreprise (y compris pour une personne morale, selon une jurisprudence établie).
Le préjudice matériel correspond notamment à un préjudice financier résultant de la perte de chiffre d’affaires pour l’entreprise. Ce préjudice peut également comprendre les investissements de référencement sur Internet du site de l’entreprise, lequel est souvent rattaché à une fiche d’établissement Google, elle aussi support d’avis en ligne.
Il s’agit d’éléments dont la preuve devra, en tout état de cause, être rapportée par l’entreprise (laquelle n’aura, pour rappel, pas à faire le lien entre le dénigrement et le préjudice).
À noter la difficulté que peut présenter la contestation des célèbres avis Google My Business®, dont l’importance va croissante pour les entreprises et les litiges avec. Une contestation est possible auprès de Google par le titulaire du compte pour solliciter le retrait des avis litigieux. En pratique, Google y donne rarement droit.
Il est également possible de saisir le juge des référés pour contraindre la société Google à communiquer les informations techniques (adresse IP et adresse email) du compte de l’auteur d’un avis dénigrant. Ces données permettent alors de saisir le juge aux fins de contraindre le fournisseur d’accès à Internet à révéler les coordonnées du titulaire de ces adresses et son identité. Toutefois, certaines juridictions font prévaloir l’anonymat des auteurs des avis en ligne, de sorte que l’ensemble de cette procédure peut s’avérer vaine.
Dans tous les cas, une mise en demeure peut avoir un effet dissuasif certain car les clients ignorent, la plupart du temps, les conséquences que peuvent avoir leurs propos (pour eux et les entreprises visées).
Pour identifier le préjudice causé, les juridictions peuvent, notamment, analyser l’impact des avis dénigrants en étudiant l’évolution du trafic en ligne.
Par exemple, dans une décision du 22 juin 2022 (n° 2018017655), le tribunal judiciaire de Paris a jugé que :
« Les données statistiques relatives à la fréquentation du site “Second Souffle”, édités par le service Google analytics, montrent qu’entre la période écoulée après la publication des avis litigieux, entre le 1er novembre 2020 et le 31 janvier 2021, et celle située après leur suppression, entre le 11 mai et le 20 juillet 2021, le trafic sur le site est passé de 767 à 3 331 utilisateurs et les “demandes de contacts” ont presque doublées, passant de 34 à 64 ». Le tribunal conclut que « le caractère notable de ces évolutions permet de les mettre en corrélation avec les avis publiés ».
Dans ce contexte, il est fortement recommandé de faire appel à un huissier de justice, lequel pourra dresser un procès-verbal de constat sur Internet afin de recueillir et préserver tous les éléments techniques requis (lesquels sont très vulnérables en ligne, car pouvant être retiré à tout instant). Cet acte est important en pratique, sous réserve qu’il respecte l’ensemble de règle très précises relatives à sa validité (cf. Tribunal de Grande Instance de Paris, 4 mars 2003, « Ziff Davis », n° 00/16090). En effet, il constitue une preuve sur laquelle les juridictions s’appuient pour caractériser le dénigrement et le préjudice.
C’est le cas de la présente affaire, dans laquelle la Cour d’appel de Douai exploite le procès-verbal de constat produit par l’entreprise pour élaborer une grande partie de son raisonnement.